Pollution littorale : comment les villes peuvent-elles inciter les usagers à adopter de bonnes pratiques ?
Face à l’urgence écologique sur le littoral français, Magali Trelohan , enseignante-chercheuse, professeur de marketing à l’EM Normandie, a mené un travail de recherche inédit pour comprendre quels sont les moyens les efficaces plus dont disposent les collectivités pour convaincre les usagers d’adopter des comportements pro-environnementaux. Une stratégie semble beaucoup plus efficace que les autres : montrer l’exemple.
Un enjeu majeur pour le littoral français
La façade maritime concentre à elle seule 40 % de la population française et accueille chaque année des millions de visiteurs , avec une densité de population 2,4 fois supérieure à la moyenne nationale et un nombre de lits touristiques 163 fois plus élevé que dans le reste du pays. Les acteurs du littoral investissent massivement dans la communication et la sensibilisation sur les risques environnementaux (campagnes d’affichage, événements éducatifs, distribution de guides), mais ces actions, qui représentent plus de la moitié des initiatives recensées, peinent à provoquer des changements durables. Les sciences comportementales montrent que connaître les bonnes pratiques ne garantit pas leur adoption : l’écart intention-action reste important, notamment pendant les vacances où les comportements responsables sont souvent mis de côté.
Des outils de marketing social classiques et innovants
Pour dépasser ce constat, Magali Trelohan a mené une étude qualitative auprès de 17 structures (associations, collectivités, gestionnaires de ports, acteurs publics locaux, régionaux et nationaux), représentant un panel équilibré du secteur. Son analyse révèle que les professionnels de la protection du littoral mobilisent un ensemble d’outils classiques issus du marketing social , traditionnellement organisé autour de six dimensions : produit, prix, distribution, communication, politique et personnes. Mais leur pratique va plus loin avec l’intégration d’une septième dimension innovante : l’exemplarité des acteurs (« Modèle parfait »).
Montrer l’exemple , par des comportements irréprochables des personnels et des gestionnaires, s’avère en effet essentiel pour influencer les usagers . Cette exemplarité passe aussi par la propreté et l’entretien des zones côtières, l’utilisation de solutions écologiques (éclairage LED, aires de carénage propres), et la cohérence entre discours et actes. Les études en psychologie sociale confirment que les normes visibles (un lieu propre, des professionnels engagés) incitent naturellement les visiteurs à adopter des comportements similaires.
Les leviers concrets du changement
L’étude de Magali Trelohan met en avant des pratiques innovantes et des recommandations opérationnelles , structurées autour des 7P du marketing social :
Produit : définir précisément les comportements attendus aujourd’hui et anticiper ceux de demain (exemple : gestion des bateaux en fin de vie, guides de bonnes pratiques, labels environnementaux). Par exemple, 10 à 15 % des déchets retrouvés sur les plages sont directement abandonnés, soulignant l’ampleur du travail à accomplir.
Prix : prendre en compte et réduire tous les coûts perçus par l’utilisateur (économiques, psychologiques, temporels). Par exemple, rendre gratuit l’accès aux infrastructures écologiques (aires de carénage, sacs de tri). Pourtant, seulement 5 % des actions recensées visent à lever ces barrières concrètes.
Distribution : faciliter l’adoption des comportements attendus en rendant les solutions accessibles (aménagements, balisages, équipements adaptés). Ces dispositifs restent encore sous-utilisés, alors qu’ils sont cités par 76 % des répondants.
Communication : adapter la communication pour aller au-delà de la simple sensibilisation, en intégrant des approches engageantes et participatives. Sur 400 verbatim recueillis, près de la moitié concernent la communication, mais son efficacité réelle sur les comportements reste limitée.
Changements politiques : adapter les politiques publiques au contexte local, clarifier la réglementation, assurer son application efficace et engager des actions en justice si nécessaire. 21 % des verbatims relèvent de ce levier, dont 7 % à l’évolution de la réglementation et 5 % à la verbalisation.
Personnes : impliquent directement les usagers, que ce soit par l’expérience sensorielle (observation de la nature), la consultation en amont des projets ou la transformation des usagers en « sentinelles » et ambassadeurs du littoral. Cette implication active est citée par 59 % des structures.
Exemplarité (Perfect Model) : être exemplaire et cohérent, tant dans les comportements individuels que dans la gestion collective des espaces. Cette exemplarité est jugée déterminante par 59 % des structures, qui multiplient les initiatives pour incarner les valeurs qu’elles promettent.
Implications et recommandations
L’étude propose un guide concret pour renforcer l’impact des actions de protection du littoral :
Diversifier les leviers : combiner plusieurs dimensions du marketing social pour maximiser l’efficacité des interventions.
Former et impliquer les acteurs : développer des programmes de formation continue et de mentorat pour diffuser les bonnes pratiques et instaurer une culture d’exemplarité.
Adapter les stratégies au terrain : prendre en compte les spécificités locales et impliquer les usagers dans la co-construction des solutions.
Rééquilibrer les ressources : mieux répartir les efforts entre communication, facilitation, adaptation réglementaire et implication active des usagers.
A propos de l’étude de Magali Trélohan – chiffres clés
17 structures intégrées, dont 10 locales, 4 régionales, 3 nationales et 1 européenne.
400 verbatims recensés, dont 167 liés à la communication, 85 à la politique, 82 à la facilitation, 24 à l’exemplarité et 24 à l’implication directe des usagers.
10 à 15 % des déchets sur les plages sont directement abandonnés par les usagers, représentant un enjeu majeur pour la gestion des déchets littoraux.
Sur les 70 mentions de barrières à l’adoption de comportements écologiques, seulement 21 sont associées à des solutions concrètes, révélant un potentiel d’amélioration significatif.
Magali Trelohan , enseignante-chercheuse, professeur de marketing à l’EM Normandie est spécialiste des comportements pro-environnementaux. Ses articles analysent l’engagement et l’empowerment autour de ce sujet à travers le prisme des stratégies organisationnelles et de la psychologie et des comportements individuels.