Surprenante Guyane. Ce bout de France tropicale, niché entre le Brésil et le Suriname, s’étend sous la tutelle verdoyante de l’Amazonie.
Ici, la nature règne en souveraine absolue, imposant ses lois changeantes, ses caprices et ses métamorphoses.
Chaque saison, chaque marée, chaque pluie réécrit la carte du territoire guyanais. Là où la mer battait la digue il y a quelques années, s’élève aujourd’hui une mangrove épaisse qui disparaitra mystérieusement quelques années plus tard. Là où serpentait un ruisseau, s’étend un lac, gonflé par les eaux venues des Andes. En Guyane, la nature est en mouvement perpétuel.
Les littoraux les plus changeants au monde
À Cayenne, à Kourou ou à Awala-Yalimapo, la mer n’a jamais la même couleur.
Tantôt brune et lourde, charriant la vase de l’Amazonie, tantôt limpide après une accalmie ou un changement de courant, elle reflète une instabilité déroutante.
Ces « eaux rouges » sont la signature de la Guyane : chargées d’argiles et de limons, elles peuvent perturber la baignade en raison de leur opacité inquiétante, mais sauvent les poissons que les pêcheurs peinent à repérer. Une situation qui fait aussi le bonheur des oiseaux : la Guyane, qui revendique l’un des littoraux les plus changeants au monde, abrite davantage d’espèces d’oiseaux que l’Europe tout entière.
Les marées y atteignent jusqu’à 3,5 mètres d’amplitude, remodelant sans relâche le bord de mer. Les estuaires, vastes et silencieux, se couvrent de boue à marée basse, révélant des crabes et des coquillages. À marée haute, tout disparaît sous un linceul d’eau brun clair. Chaque année 80 % du littoral est modifié par les mouvements de la mangrove. Quelques plages échappent pourtant à cette loi implacable et dessinent des paysages dignes des Seychelles. Souvent désertes, elles restent des secrets réservés aux initiés, car nul ne sait si leur privilège perdurera. Plus au loin, vers Kourou, les caps sableux abritent des colonies d’énormes tortues luths qui viennent chaque année pondre leurs œufs sur les plages de l’Ouest guyanais, un phénomène émouvant dont le cycle reste rythmé par la lune et les courants amazoniens.
La mangrove, forêt de sel et de boue
La jeune Anaya, désormais installée en métropole, redécouvre cette terre changeante lorsqu’elle revient chez sa grand-mère, à Cayenne. La maison sur pilotis, posée en bord de mer, fait face à un horizon qui n’est jamais le même. Certaines années, la mer lèche les marches de la jetée, comme une invitation à la baignade ; mais parfois, elle a reculé, remplacée par une plage de sable, puis par une forêt de palétuviers dans laquelle s’activent des crabes violonistes et des ibis rouges. « La mangrove est revenue », constate avec fatalisme sa grand-mère. Ici, le littoral avance ou recule de plusieurs dizaines de mètres par an, selon les humeurs des courants venus du grand fleuve Amazone.
Phénomène mouvant, la mangrove guyanaise compte parmi les plus spectaculaires du monde tropical. Sur près de 700 km du rivage guyanais et des estuaires, elle forme une barrière végétale compacte, à la fois souple et tenace, faite de racines-échasses, de vasières et de branches tressées. Une protection naturelle contre les tsunamis et les envahisseurs colons. Cette forêt amphibie joue un rôle vital : elle fixe les sédiments charriés par l’Amazone, protège le littoral de l’érosion et sert de pouponnière à d’innombrables espèces de poissons, crustacés, caïmans, etc.
Près de 90 millions de tonnes de sédiments arrivent chaque année sur les côtes guyanaises, portés par le courant nord-brésilien. Ces boues brunes forment des bancs offshore, épais d’environ trois mètres, qui dérivent lentement le long des côtes avant de coloniser celles de Guyane. Ces côtes s’avèrent particulièrement propices à l’implantation, puis à la croissance des palétuviers. Certains poussent au rythme d’environ 3 mètres par an, grimpant jusqu’à 30 mètres de haut, si bien que le paysage prend très vite une allure définitive sur près de 500 mètres de large. Pourtant, entre 8 et 15 ans plus tard, il disparaîtra, rongé par de nouveaux courants, et le sable reprendra ses droits.
La mangrove, loin de n’être qu’une simple curiosité botanique, est une fabrique de vie. Ses eaux salées, tièdes et troubles abritent huîtres, crevettes et alluvions. Les crabes y travaillent inlassablement, parvenant à déplacer d’énormes quantités de sédiments sur certains rivages. Les racines amphibies de la végétation filtrent les eaux et capturent le carbone avec une efficacité quatre fois supérieure à celle d’une forêt tropicale classique. À ce titre, la mangrove guyanaise détient un record écologique discret : c’est l’un des écosystèmes les plus productifs au monde par mètre carré, une pépinière essentielle pour la biodiversité côtière.
Le royaume liquide : fleuves, criques et lacs
Terre insaisissable, la Guyane se parcourt au rythme de ses rivières qui descendent doucement des plateaux en escalier, riches de terres granitiques figurant parmi les plus anciennes de la planète. Près de 3 000 kilomètres de voies navigables, un entrelacs de fleuves – l’Oyapock, l’Approuague, le Sinnamary, la Mana, le Maroni – que l’on explore en pirogue, pour rejoindre un village isolé ou une crique perdue. La route, ici, joue les seconds rôles. Le moteur du voyage, c’est l’eau qui relie, transporte et délimite les frontières.
En Guyane, on compte plus de 1 200 cours d’eau recensés, et près de 90 % du territoire est couvert de forêts. Ce réseau fluvial dense rend le pays plus accessible par ses fleuves que par ses routes. Le Maroni, long de 520 kilomètres et frontière naturelle avec le Suriname, s’affirme en colonne vertébrale, navigable d’un bout à l’autre. Les pirogues à moteur – les « peki-peki » – y sont reines. Chacun rêve d’en acquérir une, pour parcourir librement cet entrelacs de rivières. Une fois dénichée la crique de sable blanc idéale, on suspendra son hamac entre deux arbres ou entre les poutres d’un carbet (construction de bois sans murs), avant de plonger dans l’eau.
Naviguer à bord de ces pirogues est une invitation à la rêverie. Le silence est percé du ronronnement du moteur et du cri des aras. On croise des villages sur pilotis, des berges ourlées de fougères géantes, des arbres couchés vers l’eau, aux racines tentaculaires. Chaque méandre révèle un monde différent : une colonie de cormorans, une maison sur pilotis face à une jolie crique de sable, un groupe d’enfants amérindiens nageant dans une eau couleur café au lait, une brume flottant dans l’aube.
Plus à l’intérieur, dans les zones humides de Kaw ou de Sinnamary, les lacs temporaires complètent ce réseau vivant. Le lac de Petit-Saut, formé par un barrage en 1994, s’étend sur 365 km², presque trois fois la taille de Paris. Ses eaux calmes reflètent un paysage d’arbres noyés qui s’élancent comme des cathédrales englouties. Ce cadre spectral attire pêcheurs, chercheurs et voyageurs, fascinés par cette nature hors du temps
Des animaux qui fuient l’homme
Contrairement à l’image que l’on s’en fait, la faune guyanaise, pourtant foisonnante, craint les humains. Si l’un d’eux s’approche, le cri d’alerte d’un oiseau suffit à faire déguerpir tout un petit monde animal. Le promeneur attentif ne repèrera plus que des empreintes fraîches et des cris lointains. La Guyane ne se dévoile jamais totalement : elle se laisse deviner, respirer, écouter.
Les jaguars ne s’intéressent pas plus aux hommes que les caïmans noirs du Maroni, qui préfèrent se dissimuler dans les criques obscures plutôt que s’approcher des pirogues.
Les tarentules locales, pourtant impressionnantes, se montrent inoffensives ; « leurs morsures, très rares, provoquent au pire une irritation de surface », explique Lucas Lechaux, médecin installé en Guyane. Les serpents s’échappent dès qu’ils perçoivent une vibration humaine. Quant au monstrueux anaconda, il ne goûte que les formes horizontales : s’il s’approche, évitez donc de faire la planche. Il suffit de se redresser pour le chasser. Seuls les petits singes Capucins de l’Ile du Salut se permettent quelques familiarité. D’après les services médicaux, les traumatismes provoqués par des animaux (abeilles et guêpes pour l’essentiel) ne comptent qu’à hauteur d’environ 1 % des admissions aux urgences, et les décès restent rarissimes, très loin derrière ceux provoqués par les humains.
On ne risque guère de croiser ces derniers dans la réserve naturelle de Kourou. La faune y a pris tous ses droits : jaguars, tapirs, aras et singes y cohabitent en grand nombre, mais restent prêts à fuir à chaque vacarme de lancement de fusées Ariane, Vega ou Soyouz, dont la haute technicité contraste avec le caractère primitif de la nature.
Terre française mais amazonienne, tropicale mais océanique, emblème de haute technologie implanté dans une réserve sauvage, la Guyane déroute autant qu’elle fascine. Son littoral avance et recule, ses fleuves tracent des routes mouvantes, son ciel déverse des pluies diluviennes puis offre des levers de soleil scintillants. La nature exerce sa loi, impose sa cadence et rappelle aux hommes qu’ils n’y sont que des invités. Seuls les Amérindiens l’ont véritablement compris.
Et pourtant, de cet ordre déstabilisant naît un sentiment rare : celui d’un monde encore intact, où chaque arbre, chaque crique, chaque palétuvier raconte la puissance originelle de la terre et de l’eau. En Guyane, on ne visite pas la nature ; on s’y adapte, on s’y fond, pour tenter de comprendre ses mystères. Le visiteur y découvre moins une destination qu’un monde en mouvement, où l’eau et la terre s’entremêlent dans un équilibre somptueux.
Informations pratiques
Office du Tourisme de la Guyane française
Accueil et information à Cayenne, place des Palmistes.
Propose circuits guidés, excursions dans la mangrove et séjours découverte (observation de tortues, randonnées en forêt, expériences culturelles amérindiennes).
www.guyane-amazonie.fr
Tél. : +594 594 30 96 23
Comité de la Guyane – Bureau Paris
Accueil et information sur la destination Guyane, conseils de séjour, mise en relation avec agences spécialisées et guides locaux.
24 rue de Moscou, 75008 Paris
Tél. : 01 42 94 15 16
Air Caraïbes
Assure des vols directs entre Paris-Orly et Cayenne–Félix Éboué.
Fréquence : jusqu’à 5 vols par semaine, durée moyenne de vol : 8 h 30.
Services à bord : repas créole, options de surclassement classes Caraïbes ou Madras Class.
www.aircaraibes.com
Service client (France) : +33 820 835 835

